La sortie scolaire(9)

Neuvième épisode

(Si vous avez manqué le début, c’est par ici: https://solenehervieu.wordpress.com/2022/02/09/la-sortie-scolaire/)

J’essaie de tourner la tête, mon corps refuse catégoriquement de le faire. Lever les bras est désormais impossible également. Je devrais paniquer, il m’en faut moins que cela en temps ordinaire. Pourtant, mon esprit ne fait que noter froidement l’évolution de ma situation corporelle. Mon cœur, qui bat si souvent la chamade, garde son rythme de croisière. Mon esprit est clair (dans la mesure où ne pas s’affoler dans une situation pareille est un signe de clarté d’esprit, ce qui reste à prouver) , J’entends les derniers chants des oiseaux avant qu’ils ne se couchent, le bruissement des feuilles dans les arbres aux alentours, ma respiration ample et régulière. Dans un sens, si ce n’est ma paralysie partielle, je me sens plutôt bien, apaisée et j’apprécierais cette sérénité apparente si je l’avais choisie. Que je sois calme n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut que je reste vigilante. Je ne dois pas m’endormir ni baisser la garde. Cela dit, je ne pourrais lutter que dans ma tête, en priant pour développer un don psychique rapidement.

Tandis que je monologue intérieurement, les deux enfants restés devant moi se regardent, hochent la tête et se tournent vers moi en parfaite synchronicité. Vont-ils m’attaquer ? Vont-ils me tuer ? Par quel moyen ? Je n’ai pas vraiment envie de mourir, (que dis-je, je n’ai absolument pas envie de mourir !) mais s’il faut que cela arrive ce soir, alors qu’ils fassent cela rapidement et proprement. Chlack ! Peut-être qu’ils vont tester différentes méthodes sur moi. Je vais être enfin utile à la science. Je ne suis pas contre les expériences en théorie, mais dans la pratique, je n’ai jamais rêvé de me réincarner en rat de laboratoire.

Les bras des enfants s’élèvent vers le ciel, ne me quittant pas des yeux. À quoi jouent – ils ? vont-ils faire une danse de la pluie ? cela serait bien ma veine, j’ai oublié ma parka dans le car ! Il faut croire que je me suis trompée car subitement, je sens mes jambes se tendre, mon buste s’allonger, mes bras se raidir le long du corps. Je ne sens plus la pierre sous mes fesses mais un air frais glisse sous mes reins, mon tee-shirt ondule dans mon dos. Le sol semble s’éloigner, tandis que la cime des arbres semble se rapprocher lentement mais sûrement. Est-ce que je serais en train de voler ? De planer plutôt ? Ces deux enfants auraient-ils le pouvoir de me porter par la pensée ? Comment appelle-t-on cela, déjà ? Télékinésie, Martine. Télékinésie. Il faut croire que ma fin n’est pas encore arrivée. À moins qu’ils comptent me fracasser la tête contre un arbre ? J’aimerais bien être reconnaissable une fois morte, tout de même, afin qu’on puisse m’identifier ! Au cas où quelqu’un entendrait ce que je me dis dans ma tête, je précise, de nouveau que JE N’AI PAS ENVIE DE MOURIR ! On ne sait jamais, cette soirée allant de mystère en mystère, si cela se trouve, en ce moment même quelqu’un lit mes pensées.

Je monte, je monte, je surplombe les arbres à présent. À quelle hauteur puis-je bien être ? Avec la tombée du soir, je ne vois pas grand-chose. Une chose est certaine, je me trouve actuellement à une hauteur supérieure à celle de la piste rouge du parcours d’accrobranche de « Fantastic forest », qui était, je crois à dix mètres. J’estime donc planer à quinze ? Vingt mètres ? Étant donné la force de la gravité, si je m’écrase, mes chances de ressembler à « Barbie passe dans le mixeur » sont estimées à 95 %. Et moi, malgré l’analyse froide de mon risque de m’écraser comme une bouse sur le sol, je reste calme, mes yeux fixés vers le ciel, comme si de rien n’était. En même temps, je ne contrôle absolument rien. Je monte, je monte, je monte. Jusqu’où ? Est-ce qu’ils comptent m’envoyer en orbite comme une Tesla ? J’ai vu Gravity, moi, je n’ai pas envie de tourner, tourner, tourner à l’infini dans l’espace en attendant que George Clooney vienne me sauver.

D’un coup, mon corps pivote à 180°, je me retrouve le visage tourné vers le sol, les jambes et les bras écartés, « Barbie fait du base jump ». Vue d’où je suis, la clairière est minuscule et je distingue les enfants qui ressemblent à des fourmis dressées sur leurs deux pattes arrière. Je crois qu’ils me prennent pour un drone. Ils font « mumuse » avec moi comme avec un cerf-volant. Les oiseaux me regardent d’un air étrange. Il faut dire qu’un humain volant, cela ne court pas les rues, enfin, les airs. Je ne bouge plus. Il me semble que les bras des enfants se baissent, mais c’est difficile pour moi d’en être certaine avec la pénombre. Sont-ils en train de me faire redescendre ? La partie serait-elle terminée ? C’est étrange, je distingue de moins en moins la petite fille, elle s’estompe. Il ne reste plus que le petit garçon. Il me fait un geste de la main, du moins, je le crois ? Et disparaît à son tour.

Eh oh ! Où allez-vous ? je n’ai pas choisi une reconversion montgolfière moi ! qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Martine, je crois que notre sujet commence enfin à s’affoler.

Publié par smiky76

Autrice cinéphile et lectrice enthousiaste

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